Au sujet de l’auteur
En préambule
Cette chasse au trésor est le résultat du travail de deux individus :
- Celui qui a imaginé et réalisé les tableaux est un peintre au talent exceptionnel sans qui l’Enigme n’aurait pas l’attrait visuel qu’elle a aujourd’hui : Benjamin Ferré. Son blog donne un aperçu de son talent.
- L’autre individu, c’est moi-même, Bernard Collot. Créateur de cette énigme, je suis initialement un géologue d’exploration que les hasards de la vie ont entraîné dans une suite de circonstances particulières. Ce sont elles qui ont contribué à jouer un rôle dans la naissance de cette chasse.
A Benjamin et moi-même s’ajoute une autre personne sans qui rien de cela n’aurait été possible : ma compagne depuis quatorze ans, Christelle Salgues. C’est elle qui, en 2006, créa le magasin qui constitue aujourd’hui le support physique de cette initiative.
Une jeunesse en France
Mes parents étaient issus d’un milieu ouvrier et rural qui correspondrait aujourd’hui aux classes sociales inférieures. Mariés à 20 ans, ils se sont battus pour parvenir à s’élever socialement et donner à leurs trois enfants une solide éducation.
Ma mère Hélène est décédée le 10 mars 2023 à l’âge de 91 ans. Elle était atteinte d’Alzheimer et ne nous reconnaissait plus. Mais quelle mère elle fut pour nous !
Brillante à l’école, elle fut déscolarisée à 14 ans pour aller rejoindre sa mère, veuve à 36 ans, et quatre frères et sœurs à l’usine textile de Golbey, dans la banlieue d’Epinal. Malgré sa déscolarisation précoce, jamais ne l’ai-je vu faire une faute d’orthographe ou de grammaire.
Mon père Lucien était de la même trempe. Originaire de Vesoul, en Haute-Saône, il avait lui aussi des frères et sœurs à la maison. Bien que n’ayant que très rarement parlé de son enfance, on pouvait deviner qu’elle ne fut pas facile. Orphelin de son père à 14 ans, et déscolarisé la même année « pour cause de maladie », il perdit sa mère à 19 ans dans des conditions tragiques, un jour de Noël.
Avide d’éducation, mon père ne pouvait prétendre, de par son niveau scolaire et son statut social, à un enseignement supérieur. Pour lui, l’armée était une opportunité d’élévation sociale et intellectuelle. Il s’engagea à 19 ans.
Remarqué très tôt pour ses qualités, il eut une belle carrière, qui lui valut d’être décoré de l’Ordre National du Mérite et de la Légion d’Honneur. Après sa mort en 1976, à l’âge de 45 ans, il fut élevé au grade de colonel à titre posthume. Cinq généraux étaient présents à ses obsèques.
Mon père était un homme intelligent, un travailleur aussi infatigable que dur au mal. Il était un modèle de volonté, de générosité, de droiture et de professionnalisme. Un modèle, aussi, d’adhésion aux valeurs mises en avant dans l’Enigme du Louis d’Or. Sans ces valeurs qu’il nous aura inculquées, la formidable quête du Graal que représente cette chasse n’existerait pas.
Notre famille fonctionnait selon des valeurs universelles, humaines, qui n’étaient ni « de droite » ni « de gauche ». Simplement, des valeurs selon lesquelles il y a des droits et des devoirs, et que si l’on peut aider l’autre, respecter les règles et contribuer à l’environnement dans lequel on vit, on le fait.
Bien que je n’ai vécu que les premières années de ma vie dans les Vosges, je prends de plus en plus conscience que je suis toujours resté vosgien. Même si, par la suite, j’obtiendrai une seconde nationalité – canadienne – et que l’Ouest canadien sera toujours ma seconde maison.
Le fait que je sois vosgien d’origine a joué un rôle dans la naissance et le contenu de cette énigme. Etre vosgien à ma naissance, c’était être héritier des souffrances, des privations, des frustrations et des traumatismes associées aux guerres qui ont ravagées la région. C’était savoir que le mot « guerre » n’est pas un mot comme les autres. Dans la bouche des vieux, ce n’était d’ailleurs pas un mot, c’était un film d’horreur.
Scolarité
Entre l’école primaire et la terminale, j’ai fréquenté pas moins de dix établissements scolaires. Dont un pour la sixième, un autre pour la cinquième et encore un autre pour la quatrième.
Les changements en eux-mêmes – liés aux fréquents changements d’affectation de notre père – n’étaient pas nécessairement déstabilisants. Ce qui l’était, c’était de passer d’un établissement en milieu rural, d’un niveau faible, à un établissement d’un niveau plus élevé dans une petite ville, puis un niveau encore plus élevé dans une grande ville. Parfois même en cours d’année scolaire. Était-ce ainsi partout en France ? Je ne sais pas. Ce dont je suis certain, c’est que pour mon frère et moi, ce fut le cas.
Premières années d’université
Après avoir passé mon bac à Nancy en 1972, je choisi d’aller faire mes études supérieures à l’Université des Sciences et Techniques du Languedoc à Montpellier. A l’époque, des enseignants du petit lycée technique où j’avais fini par aboutir avaient cherché à m’en dissuader. On invoquait le fait que je « n’avais pas le niveau ». Mais ce qui se faisait à Montpellier me plaisait. Je m’inscrivis malgré tout.
La première année fut financièrement la plus difficile. Le cahier de comptes que je tenais à l’époque est encore là pour en témoigner : cette première année, il fallait vivre avec les 300 francs que mes parents pouvaient donner chaque mois. Or 300 francs en 1972, c’était à peu près 300 euros d’aujourd’hui. Ce qui signifiait qu’une fois payé le loyer de ma chambre (150 euros), il restait 150 euros par mois.
Chaque ligne de mon cahier de comptes en atteste : avec mon ami Daniel, qui partageait la même chambre de la maison de Juvignac et payait lui aussi 150 euros de loyer, nous ne pouvions manger que deux fois par jour. Plus tard, nous trouverons des petits boulots à faire sur le côté. Mais que ce fut difficile au début!
Le service militaire
Après avoir obtenu mon diplôme de Maîtrise en juillet 1976, je fus incorporé pour quatre mois, dans le cadre de mon service militaire, à l’école d’officiers de réserve de Saint-Cyr Coëtquidan.
Mon père y était passé 20 ans plus tôt. C’était un bonheur pour lui de voir que j’y entrai à mon tour. Je ne partageais cependant pas sa joie. Etudiant rebelle aux cheveux plutôt longs, j’allais faire mon service à reculons, avec le sentiment de perdre une année.
Le 13 novembre, après moins de six semaines d’école, la mort de mon père et les circonstances qui l’accompagnent me font basculer dans une autre réalité. Ainsi est la vie, qu’à un instant donné nous sommes à côté de la personne que nous aimons le plus et, l’instant d’après, devant son corps sans vie sans que rien ne nous y prépare.
Dans les trois mois qui me restaient à faire à Coëtquidan, je n’étais plus le rebelle du début. A la fin de la formation, je terminai major de section. Était-ce là une faveur que l’on faisait à quelqu’un qui avait été frappé par le malheur et avait réussi malgré tout? Je ne saurais dire.
Lors de la cérémonie finale de remise des médailles, sur la place d’arme de Coëtquidan où la plupart des chefs militaires de notre pays sont passés, mon chef de section, le capitaine Soubrouillard, m’avait remis la médaille en disant : « S’il y en a un qui la mérite, c’est vous ». Je ne sais là encore si c’était vrai. Ce dont je me souviens, c’est qu’une profonde humanité émanait de sa personne.
La confiance qu’il m’avait accordée m’avait poussé à donner le meilleur de moi-même. Superbe illustration d’un concept qui me sera enseigné dix ans plus tard en Amérique du Nord : « The power of expectations », ou « le pouvoir des attentes ».
Dernières années d’université
De retour à la fac de sciences de Montpellier, en troisième cycle, le professeur Maurice Mattauer m’y enseignera la Tectonique des Plaques. C’est grâce à lui que je découvrirai plus tard la Cordillère et les Montagnes Rocheuses, du Mexique jusqu’au Nord du Canada. Grâce à lui, aussi, et à la société Elf-Aquitaine, que je connaîtrai l’Alaska et y effectuerai deux extraordinaires saisons, en 1978 et 1979.
Maurice Mattauer m’a inculqué la notion qu’un modèle géologique doit être avant tout cohérent. Lorsqu’on descend de voiture pour observer un affleurement rocheux en bord de route, l’interprétation que l’on en fait doit être en accord avec ce que l’on sait de l’histoire de la plaque continentale sur laquelle on se trouve. Le modèle que l’on met en place doit donc tout intégrer, du plus petit détail observé sur le terrain jusqu’aux grands mouvements, actuels et passés, de l’écorce terrestre.
C’est cette approche, cette méthode d’analyse qui consiste à considérer que rien n’est compris tant que chaque détail n’est pas pris en compte, qui me vaudra de travailler plus tard sur des projets d’importance stratégique aux Etats-Unis et au Canada.
Il en est de même de notre Enigme : pour être résolue, il faut que les informations issues des tableaux, des quatrains et des textes les accompagnant s’intègrent dans un schéma cohérent. Un schéma plus facile à comprendre dès lors qu’on s’appuie sur une démarche progressive et méthodique de collecte, d’assemblage et d’intégration des données. Tel un puzzle que l’on assemble.
Le choix de l’expatriation
Lorsque j’obtiens mon doctorat en Sciences de la Terre en mars 1981, Lisita et moi sommes mariés depuis quatre ans et avons déjà trois enfants : Sylvain, trois ans, Florent et Jean, neuf mois.
Il y avait alors très peu d’opportunités d’emplois permanents en France, essentiellement des postes de chercheurs dans des laboratoires de géologie. Dans le privé, il n’y avait à ce moment là rien ou presque ; seules les grandes sociétés pétrolières françaises – Elf Aquitaine, Total – présentaient quelques débouchés. Généralement dans le domaine pétrolier.
Un maître de conférence du labo de géologie à Montpellier m’avait dit : « Bernard, tu ne dois pas rester en France, tu seras malheureux parce que tu es quelqu’un qui donne toujours le maximum ; dans une grosse boîte nationale comme Elf, tu ne seras jamais reconnu à ta juste valeur. C’est en Amérique qu’est ton avenir ».
Il s’appelait Michel Séguret et l’avenir montra qu’il avait raison.
Chez Elf, le plus haut niveau que l’on pouvait atteindre dans la société dépendait du diplôme à l’entrée. A l’opposé, dans une société nord-américaine, rien n’était prédéterminé. Le PDG de celle dans laquelle je travaillerai plus tard – plus grande société canadienne – était seulement « bac+2 ». Le mythe du type qui rentre dans une entreprise comme portier et accède un jour à la direction de l’entreprise était là-bas une absolue réalité. Et l’est encore aujourd’hui.
C’est en mai 1981 que je postulai pour un poste de géologue tectonicien dans le département Recherche d’Esso Canada à Calgary. Au terme d’une procédure d’expatriation qui dura six mois, ma famille et moi arrivâmes dans la ville le 2 mars 1982. Il était 15 h 30, il neigeait et il faisait -16°C.
L’adaptation à l’idée du non-retour
Les débuts furent psychologiquement difficiles. Ce n’était pas le climat ni la différence de culture car l’accueil était partout chaleureux. Ce qui faisait mal, tout au moins pour moi, c’était le sentiment de déracinement. La France, l’Aveyron, le Lot, me manquaient.
Avec trois enfants puis quatre à partir de 1983, il faudrait trois ans avant de pouvoir venir en vacances tant les voyages aériens coûtaient cher. On ne pourrait téléphoner que quelques minutes, une fois par semaine, pour la même raison. C’était une vrai coupure, un aller simple pour un autre monde.
Et pourtant ! Si peu de différences après tout entre le Canada, même anglais, et la France ! Que peuvent ressentir tous ces gens, ces « migrants » issus de pays et de cultures tellement plus différents du nôtre et qui essaient d’entrer chez nous dans des conditions tellement plus difficiles ?
Lorsque nous les regardons comme des intrus qui viendraient « profiter de nos largesses sociales », sait-on vraiment ce qu’ils sont ? Sait on ce que peuvent être leurs souffrances, physiques et morales, celles de n’avoir plus ni racines ni identité, de n’être plus que des êtres inférieurs dans un monde qui les rejette ? Peut-on imaginer le désespoir et le courage qu’il faut accumuler avant de se lancer, avec un ou plusieurs enfants, dans la traversée aussi incertaine que terrifiante d’un continent ou de la Méditerranée ?
L’exception canadienne
La filiale canadienne du groupe Exxon, que je rejoignis en mars 1982, n’était pas une entreprise comme les autres. Plus ancienne société d’importance du Canada, elle avait pour le pays valeur d’institution. Son image n’était pas celle d’un groupe pétrolier pour qui seuls les profits comptaient. Elle semblait en être à l’opposé, considérée comme un acteur économique historique et responsable, essentiel au développement du pays. Elle s’appelait Imperial Oil et était détenue par Exxon, alors première société industrielle mondiale, à 70%.
A Calgary, dans la branche Exploration, 80% du personnel acceptait qu’il soit déduit chaque mois un pourcentage du salaire – défini par chacun mais généralement significatif – afin d’aider à financer les associations caritatives du pays. Les fonds étaient collectés par une entité unique (« United Way ») et redistribués selon la taille et les besoins des associations.
Le personnel donnait parce qu’il y avait une réelle prise de conscience de la chance que nous avions d’être là. Beaucoup d’entre nous, nouvellement arrivés, avaient connus les privations souvent associées aux études supérieures. Dans cet Ouest Canadien alors si différent du reste du monde, la notion de capitalisme était, pour la plupart d’entre nous, indissociable de celle de responsabilité sociale.
L’expérience américaine
Après les trois premières années au Canada, ma connaissance de l’Arctique canadien et américain me valut d’être affecté en janvier 1986, à Houston, à un projet énergétique d’importance stratégique, à la fois pour Exxon et pour les Etats-Unis. J’avais alors 32 ans.
En 1985, le cours du baril de pétrole était tombé à un niveau si bas qu’il menaçait l’avenir de l’entreprise et de ses 140,000 employés. A tous les niveaux du groupe des économies devaient être faites. C’est, au final, vers la branche Exploration que les regards se tournèrent. C’est là que des sommes phénoménales étaient investies sans produire les résultats attendus.
Le comité directeur du groupe, basé à New York, avait fait cette remarque : « Comment se fait-il que nos géologues à Houston soient incapables de prédire ce que l’on va trouver à 3000 mètres sous la surface quand à quelques kilomètres de là, à la NASA, ils sont capables d’envoyer des hommes sur la lune ? »
Le projet avait donc aussi comme objectif la conception d’un outil d’intégration des données et de gestion du risque qui serait à la mesure des milliards investis en exploration. Regroupant une trentaine de scientifiques issus des filiales de la société et du département recherche de Houston, il était structuré en quatre groupes ; je dirigeai celui chargé du Contexte Tectonique.
Ce projet était inspiré, dans sa méthodologie, de celui qui avait permis à l’Amérique de poser un homme sur la Lune en seulement quatre ans. Son directeur, Art Green, était un scientifique de haut niveau qui avait participé à cette aventure. Il en avait apporté avec lui tous les principes relatifs à la gestion du risque.
Ancien pilote de l’US Air Force, Art disait avoir piloté pendant la guerre froide le bombardier B-52 porteur de la bombe atomique aux frontières de la Sibérie. Était-ce vrai ? Je n’en avais aucun doute.
Très vite, nous avions sympathisé et avions pris l’habitude d’aller déjeuner régulièrement ensemble. Un jour, il m’avait dit « Bernard, je vais t’expliquer comment fonctionnent les Etats-Unis d’Amérique ». Il l’avait fait à sa manière, avec le recul et l’intelligence qui le caractérisait. Pour le jeune français que j’étais, c’était étonnant.
Les USA raisonnent à échéance 50 ans. Ce pays a la vision de ce qu’il veut être à cette échéance et ne perd pas de vue là où il doit être dans 10 ans afin de rester aligné sur cet objectif. Au cœur de toutes les stratégies demeure une notion essentielle : la recherche d’information, c’est-à-dire la capacité à l’acquérir et à l’analyser à un niveau supérieur à celui de tous ses concurrents.
Les USA sont une formidable machine à anticiper, innover et dominer. Pour preuve, il ne se passe pas une journée sans que chaque français, chaque européen, n’utilise chaque jour, directement ou indirectement, un instrument de la domination américaine. Et contribue ainsi à renforcer cette domination.
Par comparaison, de notre côté de l’océan nous devons avoir le courage de faire face à la réalité de ce qu’est la France : à savoir, un pays doté d’extraordinaires richesses et atouts mais aussi un pays qui n’aura jamais, à lui seul, les moyens de s’affranchir d’une telle domination.
Que nous le voulions ou pas, l’existence de puissances bien supérieures à la nôtre et poursuivant des agendas séparés rend incontournable le besoin de rapprochement des européens. Incontournable, aussi, le besoin de contrôle des réseaux sociaux.
Le projet Synergy
De retour au Canada, il y eu ensuite, en 1988, un autre formidable projet : le projet Synergy. D’une durée d’un an, ce n’était pas un travail technique proprement dit : il s’agissait, avec un budget de plusieurs millions de dollars et au sein d’une équipe de seulement sept personnes, d’imaginer « l’environnement professionnel idéal ».
Fascinant projet en perspective. Aucune limite, aucune contrainte ne nous était imposée. Nous devions, conceptuellement il s’entend, imaginer l’environnement de travail qui combinerait à la fois les besoins de l’entreprise et ceux de ses employés.
Le budget nous avait permis de faire appel à certains des meilleurs spécialistes américains dans le domaine de l’innovation, l’efficacité et la structure des organisations. Ils avaient une solide connaissance des sociétés américaines les plus modernes dans leur style de gestion. Chaque semaine apportait son lot de nouveaux concepts.
Cette année là, je découvrais des notions qui étaient novatrices à l’époque, il y a donc 35 ans. Des notions qui présentaient un intérêt indéniable dès lors qu’il s’agit de l’efficacité d’un groupe humain chargé d’atteindre un objectif difficile.
Le département Exploration était celui dont l’avenir de la société dépendait. Les besoins d’innovation et de créativité y étaient vitaux ; ils ne pouvaient se satisfaire d’une structure pyramidale aux multiples échelons avec, à chaque niveau, des managers dont la première préoccupation n’était souvent que leur propre carrière. D’une certaine manière, ce fut un vrai « choc de simplification », planifié et réussi : d’une organisation du 20ème siècle, pyramidale et basée sur le contrôle des individus, nous allions passer à une organisation du 21ème siècle, plus plate et basée sur l’engagement personnel.
Le concept de « pensée latérale »
En 1988, dans le cadre du projet Synergy, j’eu l’opportunité, avec les autres membres, de passer une journée avec Edward de Bono à Vancouver. Ce fut pour la plupart de mes collègues et moi-même un de ces moments qui comptent dans une vie.
Edward de Bono est celui qui a popularisé, plus qu’il ne l’a inventé, le concept de « pensée latérale ». A l’époque, il en subissait des critiques de la part de certains psychologues cognitifs. Le concept n’en était pas moins intéressant pour autant.
De quoi s’agit-il ?
La pensée latérale est définie par opposition à la « pensée verticale », ou linéaire. Cette dernière est comparable à un chemin le long duquel le raisonnement progresse de façon logique, d’une étape à une autre. La pensée latérale, au contraire, consiste à sortir de ce chemin en abandonnant initialement toute logique, le plus souvent par le biais d’une « provocation ».
Un exemple donné par Edward de Bono était celui d’une écurie automobile de Formule 1 intéressée par le développement d’une nouvelle suspension. Lors d’une séance de travail, un ingénieur aurait émis, comme « provocation », l’idée que l’on pourrait faire « des roues carrées » : hypothèse de départ apparemment absurde mais qui, considérée initialement comme plausible, permit la mise au point d’une nouvelle forme de suspension.
Le but de la provocation est donc, dans un premier temps, d’interrompre un schéma de pensée qui, bien que rationnel, n’aboutit pas dans la résolution d’un problème donné. Puis, dans un second temps, de conduire au développement d’un schéma de pensée alternatif, apparemment irrationnel mais capable d’arriver à une solution à laquelle personne n’aurait pensé.
La technique mise en œuvre consiste ainsi à structurer le processus de créativité en considérant initialement comme plausible la plus absurde des hypothèses de départ.
L’Enigme du Louis d’Or n’est pas, dans le cheminement que sa résolution nécessite, sans rapport avec ce concept. Sans être elle-même une « provocation » à proprement parlé, elle est un moyen alternatif d’évoluer vers un résultat qu’une approche plus conventionnelle ne permettrait pas d’atteindre.
Un drôle de monde
En 1989, j’avais pris l’habitude d’aller déjeuner dans une cafétaria située dans l’immeuble voisin de l’Esso Plaza. Nous étions au centre de Calgary, au milieu d’un ensemble de gratte-ciels nouvellement construits qui donnaient fière allure à cette ville toute neuve de 700,000 habitants.
Cet immeuble voisin, c’était celui de la bourse de l’Alberta, la plus petite des quatre places boursières canadiennes. La plupart des titres qui y étaient cotés étaient des actions de petites et moyennes sociétés. C’est-à-dire d’entreprises dont certaines avaient un beau potentiel de croissance. Investir sur ce marché était particulièrement tentant mais excessivement risqué ; les plus novices y laissaient souvent tout ou partie de leur mise.
A l’époque, Internet n’étant pas encore accessible au grand public, la direction de la bourse de l’Alberta avait mis des terminaux à la disposition du public. Lorsqu’on traversait le hall où se trouvaient ces terminaux, on pouvait y voir chaque jour un petit groupe d’individus y suivre en temps réel cotations et communiqués de presse. Et se rendre à la cabine téléphonique la plus proche pour y appeler leur courtier et placer un ordre d’achat ou de vente à partir de l’information qu’ils venaient de voir ou entendre.
Le spectacle était à la fois intriguant et déconcertant. Comment des gens pouvaient-ils ainsi risquer des sommes importantes à partir de si peu d’information, si peu de réflexion ?
A Houston, j’avais été formé à une méthode d’analyse et de gestion du risque qui se voulait être à l’époque la meilleure que l’on puisse concevoir. Devant le curieux spectacle offert par les boursicoteurs de Calgary, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’en adaptant cette méthode aux investissement boursiers, les résultats pourraient être spectaculaires. Et pourraient même profiter au plus grand nombre.
Ce fut là le début d’une extraordinaire aventure.
Premiers succès
Dans les mois et années qui suivirent, je poursuivis le concept et obtins rapidement des résultats encourageants. C’était la même approche que celle mise en œuvre chaque jour dans mon métier: un travail d’exploration méthodique, rigoureux, qui faisait fi des rumeurs et des apparences et s’efforçait de sortir des sentiers battus.
L’une des premières pépites que je découvris s’appelait Alimentation Couche-Tard. L’entreprise avait comme logo un petit bonhomme en pyjama jaune et blanc, coiffé d’un bonnet de nuit, qui sautait une haie en souriant et en tirant la langue. C’était l’image du client heureux car, s’apercevant au milieu de la nuit qu’il n’avait plus rien à manger, savait pouvoir être dépanné par l’épicerie locale, ouverte 24 heures sur 24.
Couche-Tard, en 1991, c’était cela: une chaîne de « dépanneurs ». Plus précisément, une chaîne de 160 épiceries et stations d’essence de proximité au Québec. Cotée sur la bourse de Montréal, sa valeur était de huit millions de dollars canadiens et son chiffre d’affaire en 1990 de 160 milllions. Elle avait alors 1000 employés.
La méthode de notation que j’avais développée, bien que préliminaire, classait son titre tout en haut de la liste des opportunités d’achat : son concept, ses dirigeants, ses valeurs … Tout faisait d’elle une société dont chacun aurait aimé faire partie.
C’est cette même société qui, 30 ans plus tard, fin 2020, offrira de racheter le groupe Carrefour pour 16 milliards d’euros. Couche-tard, c’est aujourd’hui 16 000 magasins, soit 100 fois plus qu’à l’époque, 130 000 employés, soit 130 fois plus qu’à l’époque, 60 milliards de chiffre d’affaires, soit 375 fois plus. Mais son PDG est toujours le même: Alain Bouchard.
J’ai devant moi, alors que j’écris ces lignes, l’épais dossier accumulé sur cette société entre 1990 et 1993. Il contient le résumé d’une discussion que j’avais eue avec Richard Fortin, alors secrétaire de la société. On y trouve cette phrase de monsieur Fortin : « Il y a un besoin de changer les mentalités : petits magasins n’est pas forcément synonyme de prix élevés ».
C’est le message que, 30 ans plus tard et dans notre magasin de fleurs, nous essayons de faire passer jour après jour…
L’agence de notation
Je poursuivis cette activité en marge de mon travail chez Exxon jusqu’en 1997, lorsque je décidai de quitter la société. Les gains accumulés allaient pouvoir me permettre de poursuivre mon objectif ultime. Un objectif ambitieux mais réalisable : informatiser et automatiser une méthode de notation qui fonctionnerait comme un garde-fou pour les petits épargnants. C’était un beau projet, en lien direct avec les valeurs mises en avant ici.
Indépendant à partir de 1997, je fus en position de créer mon entreprise en 1999. Mais nous étions alors dans un stade avancé de ce qui sera connu plus tard comme « la bulle spéculative des nouvelles technologies ». Cette bulle menaçait d’éclater à tout moment. Je ne pouvais me résoudre à créer une entreprise dans ce contexte.
Pendant les deux années que dura la chute des marchés, de 2001 à 2002, j’eu amplement le temps de peaufiner le projet. Le business plan fut imprimé le 5 décembre 2002; un business plan de 350 pages, dont un investisseur me dira n’avoir « jamais vu un projet aussi fini ».
C’est au début de 2003 que commença la recherche d’investisseurs et partenaires potentiels. New York, Houston, Miami, Pittsburg, Montréal, Winnipeg, Calgary, Vancouver, Londres, Paris, Hanovre, Bruxelles … Beaucoup de chemin parcouru jusqu’à la création de l’agence de notation à Dublin en avril 2005. Deux de mes quatre fils, Jérémy et Sylvain, étaient de l’aventure.
De 2005 à 2007, les premières années répondirent aux attentes et nous apportèrent de belles satisfactions. Mais en 2007, la perspective d’une autre crise majeure commença à nous inquiéter. Certes, il n’y avait jamais eu deux crises majeures aussi rapprochées. Pourtant le risque était là.
Un de nos partenaires de Houston, Michael Prentice, arrière petit-fils de John Rockefeller, ne cessait de partager avec nous son incompréhension quant à l’envolée des prix de l’immobilier aux USA. Il nous citait de multiples exemples de propriétés achetées un jour et valorisées un an plus tard à deux ou trois fois leur prix d’achat initial. C’était effectivement incompréhensible.
Incompréhensible et de plus en plus dangereux : lorsque « la Crise des Subprimes » débuta en janvier 2008, notre trésorerie n’était pas suffisante pour surmonter une autre crise majeure si celle-ci devait arriver.
Celle-ci survint, pire encore que la précédente. L’année 2008 fut une descente aux enfers.
Début 2009, cependant, alors que l’effondrement stupéfiant des bourses mondiales faisait craindre une dépression de type 1929, l’orage était passé. Notre outil de gestion du risque indiquait que la plupart des signaux étaient au vert; il fallait s’attendre à un rebond spectaculaire et durable des marchés.
Ce fut là l’objet de deux « rapports spéciaux » – les seuls que nous ayons jamais issus – envoyés à nos 35 investisseurs en décembre 2008 et mars 2009. Nous le soulignions alors : il y avait devant nous une opportunité d’investissement à long terme que l’on ne rencontre qu’une fois dans une vie. C’était vrai mais c’est là la caractéristique de tous les grands fonds de marché : la peur est générale et plus personne ne veut prendre de risque.
Il nous fut donc impossible d’en convaincre nos partenaires. L’aventure se termina avec la liquidation de l’entreprise et de ses filiales, et la perte totale des investissements qu’elle avait nécessité.
Le prix de l’aventure
Imaginé entre 1997 et 2000, le projet était pourtant bien réfléchi, bien construit. Il exigeait seulement qu’il n’y ait pas de crise économique majeure dans les premières années de l’aventure. Il y en eu deux en seulement huit ans : la « Bulle des Nouvelles Technologies » et la « Crise des Subprimes ». Ce n’était jamais arrivé dans l’histoire moderne des marchés.
Les archives accumulées pendant cette période, quand tout était encore en format papier, témoignent de la réalité de cette épopée, de son caractère unique et de la solidité de la fondation technique et juridique sur laquelle elle s’appuyait. 450 classeurs attestent de l’extraordinaire quantité de travail réalisée entre 1990 et 2009.
Mais voilà … En embarquant deux de mes fils – Sylvain et Jérémy – dans l’aventure, j’avais cru bien faire. Sylvain mettra de longues années à s’en remettre. Jérémy, lui, qui n’avait que 25 ans fin 2008, ne s’en remettra pas.
Le stress accumulé pendant les années suivantes, quand il fallut gérer les conséquences de la crise, aura un effet destructeur sur sa santé. Depuis huit ans, il souffre d’une maladie chronique grave, multi système, qui le contraint à rester couché l’essentiel du temps, dans une souffrance quasi-permanente et souvent dans l’obscurité. Sans qu’aucun médecin, après plus de 200 examens divers, n’ait jamais pu clairement identifier l’origine de son mal.
Le terme « Encéphalomyélite myalgique » ou « syndrome de fatigue chronique » est souvent utilisé, mais sans qu’il n’explique tous ses symptômes. L’un d’eux étant une douleur persistante dans la nuque qui lui donne parfois envie, nous dit-il, « de s’arracher la tête ». Comment est-il possible aujourd’hui, malgré les extraordinaires progrès de l’imagerie médicale, que personne ne soit capable d’identifier l’origine de cette douleur spécifique, pourtant si bien localisée ?
Ce qu’on retiendra
Le 27 mars 2009, au cœur de la Crise des Subprimes, Barack Obama avait convoqué les dirigeants des treize plus grosses banques américaines. Président des USA nouvellement élu, il se croyait en position de force. Mais les géants de la finance qui étaient face à lui eurent tôt fait de retourner la table. « Monsieur le Président, si nous coulons, c’est tout le pays qui coule avec nous; l’état doit nous aider ». Ce fut là l’essence de cette réunion. Et l’état aida.
L’histoire est racontée dans le livre de Johnson et Kwak « Les 13 banquiers ». Le résumé au dos du livre en donne l’essentiel :
« En dépit du rôle clé qu’elle a joué dans la crise financière ruineuse de 2008, l’industrie bancaire américaine est devenue plus importante, plus profitable et plus résistante que jamais à la règlementation. Soutenue par six méga banques dont les avoirs représentent plus de 60% du PIB national, cette oligarchie a prouvé qu’elle peut tenir en otage l’économie du monde et utiliser sa puissance politique pour combattre toute réforme significative »
Ce n’est là qu’une des nombreuses raisons pour lesquelles les européens doivent continuer à travailler, inlassablement, à renforcer les liens qui les unissent.
Nous n’aurons peut-être jamais d’armée commune mais nous pouvons avoir la plus formidable des garanties de progrès : un socle de valeurs communes, partagé par chaque européen, chaque administration, chaque entreprise, chaque nation. La plus essentielle de ces valeurs, celle que chaque organisme vivant place au-dessus de toutes les autres, étant celle que les européens ont eu le plus tendance à oublier depuis la dernière guerre mondiale : le besoin de sécurité.
Sans ce socle de valeurs communes, nous resterons incapables de préserver l’unité européenne indispensable à la sécurité de chacune des nations qui en dépend.
Le retour en France
La qualité du projet débuté dans les années 90 justifiait qu’il soit poursuivi d’une manière ou d’une autre. Sans ressources financières, il ne pouvait cependant l’être qu’en réduisant les dépenses au strict minimum. C’est dans ce contexte que je quittai l’Irlande pour venir m’installer temporairement chez ma mère à Cajarc, un bourg de 1200 habitants situé dans la vallée du Lot, à la limite Sud du département du même nom.
Ce retour en France devint définitif lorsqu’un changement de règlementation imposé par le gouvernement US rendit impossible la relance du projet. C’est l’époque où je rencontrai Christelle, la fleuriste locale, en septembre 2009. Lisita et moi étions divorcés depuis cinq ans.
Christelle possédait le magasin Laur’ des Fleurs de Cajarc depuis 2006, année où elle l’avait acheté à son employeur après y avoir été salariée pendant trois ans. Elle avait renommé le magasin d’après sa fille Laure, avec qui elle vivait à Figeac à 24 km de là.
La crise financière avait sérieusement affecté son commerce. L’argent manquait mais aussi le temps. Pourtant, extraordinaire de courage, elle se battait sans rien montrer de ses difficultés, fournissant un service de qualité à ses clients avec une formidable abnégation.
Christelle me présente Laure pour la première fois fin 2009. La jeune fille a alors 11 ans et est une belle personne à bien des égards. Heureuse, pleine de vie, vivant en harmonie avec une maman dévouée, au sein d’une famille – grand-parents, cousins, oncles et tantes – au sein de laquelle elle trouve un bel équilibre.
Le courant avec Laure passera bien d’entrée. Même si, au plus fort de son adolescence, il y aura des moments compliqués pour moi qui n’ai jamais eu que des garçons.
Dès le début, elle avait voulu m’appeler « Papa ». Elle n’avait pas connu son père, ou très peu. Il est facile d’imaginer ce que peut représenter ce mot dans la tête d’une enfant qui n’a jamais pu le prononcer.
En novembre 2011, Pierrick, aujourd’hui 11 ans, vient agrandir notre famille. C’est cette semaine là que je remplace Christelle pour la première fois dans sa boutique. Sans savoir que cela va devenir mon activité principale pendant près de dix ans.
Notre Laure
Pour Christelle et moi, les difficultés financières consécutives à la crise de 2008 – 2009 s’atténuèrent difficilement. Pendant six années, il n’y eut ni vacances, ni repos, ni répit.
Le combat pour la profitabilité du magasin se poursuivit ainsi jusqu’au vendredi 13 mars 2015, veille de la Saint Valentin. Ce jour là, nous ouvrîmes un second magasin à Limogne, à 14 kilomètres de Cajarc. Christelle devait gérer la boutique de Cajarc et moi celle de Limogne. Ce serait contraignant mais Laure serait là pour nous aider à gérer son petit frère de trois ans.
Ce weekend de Saint Valentin fut un beau succès. A la fermeture du magasin de Limogne, dans l’après-midi du dimanche 15 février 2015, les ventes dépassaient nos attentes. Un succès qui annonçait un tournant dans nos vies ; avec deux magasins, la galère dans laquelle nous étions depuis six ans était terminée.
Vers la fin de l’après-midi, Christelle et moi nous installâmes devant la télévision avec un verre de champagne. Cela ne nous était jamais arrivé ; la fin de tant d’années de combat. Nous étions épuisés d’avoir dû gérer une Saint Valentin seuls, avec deux magasins. Epuisés mais heureux.
A 19h00 ce soir là, nous regardions un film intitulé « N’oublies jamais ». Laure, alors 17 ans, était passée un peu avant pour nous dire qu’elle allait au cinéma avec une amie et sa maman. Il n’y avait ce jour là, enfin, que du soleil dans nos vies.
Mais Laure ne rentra pas. A l’heure où nous regardions ce film, la voiture dans laquelle elle se trouvait percutait un mur à 90 km/h. Laure et son amie Audrey, la conductrice, étaient tuées toutes les deux sur le coup.
Notre Laure repose aujourd’hui au côté de son oncle Benoît, plus jeune frère de Christelle tué sur la route lui aussi, 14 ans plus tôt. Il avait 22 ans.
Lorsque Benoît est parti, la petite Laure n’avait que trois ans. Plus exactement, trois ans, trois mois et onze jours. Le 15 février 2015, lorsque Laure nous quitte à son tour pour aller vers son destin, son petit frère Pierrick a lui aussi trois ans, trois mois et onze jours.
La différence d’âge entre les deux était en fait de quatre heures seulement…
Limogne 2015 – 2020
L’ouverture du magasin de Limogne avait ainsi été marquée par le départ tragique de celle dont il portait le nom. Mais les cinq années qui suivirent furent plus heureuses. Malgré sa petite taille, ce magasin fut une belle aventure humaine.
Limogne est situé à seulement 14 kilomètres de Cajarc. Bien qu’il en soit proche géographiquement, le village en diffère en bien des aspects.
Par exemple, toutes les routes qui mènent à Cajarc s’y terminent sur ce qu’on appelle « le tour de ville ». Lorsque le voyageur arrive dans le bourg, il doit ralentir, souvent même s’arrêter. Empruntant le boulevard, il passe nécessairement devant un nombre non négligeable de commerces et restaurants. Tout est ainsi fait que le voyageur est tenté de s’arrêter.
La configuration de Limogne est, par comparaison, beaucoup moins favorable. Le village est certes situé au carrefour de deux axes départementaux et le passage peut même y être plus important qu’à Cajarc. Mais il est aussi plus rapide. Il est ainsi possible de traverser Limogne sans remarquer que l’on y trouve nombre de commerces et facilités.
A cette différence s’en ajoute une plus importante encore: Cajarc est situé dans une vallée prospère, bien irriguée, où la terre est bonne. A l’opposé, Limogne est situé sur le causse, là où l’eau manque et où la couche de bonne terre ne dépasse souvent pas quelques centimètres. Quand il y a de la terre.
Sur le causse, la terre est imprégnée de la sueur de ceux qui se sont battus, génération après génération, pour survivre. Ici, il y a des mots qui ont un sens. Ils sont les mêmes partout dans le monde où l’être humain se bat pour sa survie dans un environnement hostile. En ce sens, il est des valeurs qui sont universelles.
Lieu de passage, Limogne accueille d’autant mieux l’étranger que celui-ci est prêt à s’arrêter pour s’investir dans son combat. Dynamiser le bourg est un souci permanent ; il fait de l’ouverture à l’autre une composante essentielle de la culture locale.
Le magasin de Limogne fut particulièrement bien accueilli par la population. Bien que les ventes y furent toujours bien moindre qu’à Cajarc, elles nous aidèrent à redresser notre situation financière. Elles nous permirent aussi de nous y faire nombre d’amis.
C’est là, à Limogne, qu’est née l’idée de cette énigme, au contact des gens du coin comme de ceux venus d’ailleurs. Car situé au centre du village, sur une route départementale, le magasin avait une autre particularité: celle d’être placé sur le tracé de l’une des branches du chemin de St Jacques de Compostelle.
Ainsi à Limogne avais-je à la boutique des clients locaux comme d’autres venus de toute la France et même de toute l’Europe. Des gens souvent disposés à échanger et partager.
Pendant cinq ans, alors que Christelle se battait héroïquement à Cajarc pour gérer, seule, une boutique deux fois plus importante, à Limogne j’avais le temps de communiquer avec les gens qui passaient, qu’ils soient clients ou pas.
Quand on a perdu un enfant et que les gens le savent, ils ne communiquent souvent pas avec nous comme ils le font avec d’autres. Face à quelqu’un qui a vécu une expérience marquante, celui qui en a vécu une aussi ne demande qu’à en parler. Pour peu que nous ouvrions la porte, les discussions sont plus proches, plus intimes, plus vraies. Le client ne s’ouvre pas seulement parce qu’il sait qu’il sera écouté, mais aussi et surtout parce qu’il sent qu’il sera compris.
Ce sont ces cinq années à Limogne qui m’ont conduit à écrire les paragraphes ci-dessous, qui figurent sur le poster de départ de l’Enigme:
« Il y a 10 ans, nous avions adopté comme slogan « Laur’ des Fleurs, des fleurs, de la couleur, des valeurs » parce que, dans notre magasin, nous avons toujours fait passer l’intérêt du client avant le profit.
A bien des égards, un magasin de fleurs est unique de par l’émotion qui y domine parfois. Maintes fois, nous avons pu constater, derrière porte close, face à des clients dans le deuil, remplis de douleur, combien l’être humain est vulnérable dans les moments de grand malheur. Mais combien, aussi, il peut être grand face à ce malheur, et combien il peut être solidaire des autres quand ceux-là sont touchés à leur tour.
Bien qu’il puisse facilement le devenir, l’individu n’est pas fondamentalement mauvais. Mais notre société, notre collectif, n’est pas à la hauteur du potentiel d’altruisme et de bienveillance que l’individu porte en lui. Comme si le collectif contaminait l’individu, alors que ce devrait être le contraire ».
L’Enigme du Louis d’Or est une tentative humble et ludique, mais réfléchie, de contaminer le collectif.